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URGENCE SANITAIRE : L’ÉTAT DOIT CESSER IMMÉDIATEMENT LA SURVEILLANCE PAR DRONE

20 Mai 2020 | Informatique & Liberté

Le juge des référés du Conseil d’État, saisi en urgence par deux associations de défense des libertés individuelles, s’est prononcé le 18 mai 2020.

LE CONTEXTE : LA SURVEILLANCE PAR LES AIRS DU RESPECT DES RÈGLESDE SÉCURITÉ SANITAIRE

Dans le cadre de la lutte contre la propagation de l’épidémie de COVID 19, un décret du 16 mars 2020 est venu instaurer un confinement généralisé de la population française.

Le 11 mai 2020, dans le cadre d’une stratégie de dé-confinement, une loi a été votée et deux décrets adoptés qui ont maintenu un certain nombre de restrictions aux libertés individuelles, dont l’interdiction d’accès aux parcs et des rassemblements de plus de 10 personnes.

La préfecture de police de Paris a, depuis le 18 mars 2020, affecté un drone à la surveillance aérienne du respect des mesures de sécurité sanitaire.

Les associations La Quadrature du Net et la Ligue des droits de l’Homme ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, afin qu’il ordonne la fin de ces pratiques.


LES ARGUMENTS INVOQUES POUR DEMANDER L’INTERDICTION DES SURVEILLANCE PAR DRONE

Les associations estimaient que la Préfecture met en œuvre un traitement de données à caractère personnel, hors de tout cadre légal, qui est contraire tant aux dispositions de la règlementation « informatique et libertés » qu’à celles de l’article 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme protégeant le droit au respect de la vie privée.

L’association La Quadrature du Net invoquait notamment :

– l’absence de texte autorisant et encadrant l’usage de drones survolant l’espace public pour cette finalité (défaut de « base légale »);

– l’absence d’information des personnes concernées ;

– l’absence de fixation d’une durée de conservation des données collectées ;

– le caractère manifestement disproportionné du dispositif au regard des finalités poursuivies.


LE REJET DE LA DEMANDE EN PREMIÈRE INSTANCE

Le Ministère de l’intérieur, concluant en défense, soutenait quant à lui que le dispositif ne constituait pas un traitement de données à caractère personnel dès lors :

– que l’usage fait des drones ne permettait pas, en raison de l’altitude de survol de l’absence d’utilisation du zoom, d’identifier des personnes physiques ;

– que les drones n’étaient pas équipés de carte mémoire et qu’en l’absence de toute conservation d’image, il n’était pas possible, par visionnage en temps réel, d’identifier les personnes filmées.

Statuant le 5 mai 2020 Le juge des référés du tribunal administratif de Paris, suivant en cela l’argumentation du Ministère de l’intérieur, a estimé que le survol par drones « ne portait aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées » et a rejeté les requêtes.

LA DÉCISION DU CONSEIL D’ÉTAT du 18 MAI: DÉPOURVUE DE CADRE JURIDIQUE, LA CAPTATION PAR DRONE CONSTITUE UNE ATTEINTE GRAVE ET ILLÉGALE AU DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

     – La surveillance par drone : une finalité légitime

Le Conseil d’État fonde principalement sa décision sur la fiche technique de la direction de l’ordre publique et de la circulation de la préfecture de police du 14 mai 2020, qui détermine les modalités d’engagements des drones.

Il constate tout d’abord que, selon ce document, les vols sont réalisés à une hauteur de 80 à 100 mètres afin de permettre une vue d’ensemble des zones surveillées.

Le dispositif tel que décrit constitue une mesure de police administrative permettant de décider, en temps utile, de déployer une unité d’intervention chargée de disperser les rassemblements illicites ou d’évacuer les lieux fermés au public.

Pour le Conseil d’État, le recours aux drones de surveillance dans ce but constitue une finalité légitime, nécessaire pour la sécurité publique.

Suivant en cela le juge de première instance, le Conseil d’Etat estime également que cette modalité de surveillance n’est pas, en elle-même, de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

     – La capacité d’identifier des personnes physiques, même potentielle, constitue une collecte de données à caractère personnel

En revanche, il estime que le dispositif entre dans le champ d’application de la directive 2016/680 dite « Police-Justice » qui concerne les traitements de données institués notamment « pour la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces ».

Considérant que les drones sont équipés d’un zoom optique, et qu’ils peuvent, en l’absence de « bridage », voler à une distance inférieure à celle prévue dans la fiche technique du 14 mai, le Conseil d’État estime qu’ils sont susceptibles de collecter des informations permettant d’identifier des personnes physiques au sens de l’article 3 de la Directive.

Le Conseil d’État relève que ce traitement de données ne bénéficie pas de l’encadrement juridique prévu à l’article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 telle que modifiée, et ayant transposé la directive « Police-Justice ».

Il estime dès lors, qu’en l’absence de texte règlementaire l’autorisant, et fixant les modalités d’utilisation obligatoire et les garanties pour les droits des personnes, la surveillance par drones porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée.

UNE DÉCISION DE PORTÉE NATIONALE

Cette décision, qui vise l’État français, est bien entendue applicable sur tout le territoire national pour les mesures de surveillance par drone similaires adoptées par la Police ou la Gendarmerie.

Le traitement est considéré comme illicite, et doit être interrompu immédiatement, jusqu’à l’adoption éventuelle d’un arrêté pris en conseil des ministres après avis motivé et publié de la Commission nationale informatique et libertés (la « CNIL »).

La CNIL, prenant acte de l’ordonnance du Conseil d’État, a publié un communiqué indiquant qu’elle procédait en parallèle à des contrôles sur le dispositif depuis le 23 avril 2020 et qu’elle rendrait bientôt ses conclusions.